«Réfléchir au temps de travail des médecins»
Les défis pour les médecins et les hôpitaux en 2023 seront nombreux. Les responsables de l’Inami, Benoît Colin et Pedro Facon, dans une interview exclusive pour le Spécialiste, ont notamment abordé la question du temps de travail des médecins.
Pour Pedro Facon, «dans un système de planification de l’offre médicale, on doit tenir compte du fait que le temps de travail évolue: travailler 80 heures par semaine n’est pas responsable. Toute la discussion sur les quotas est extrêmement complexe. Elle se politise rapidement. Nous craignons de ne pas avoir suffisamment de force de travail (médecins, infirmiers,…) sur le terrain. Le ministre a d’ailleurs indiqué qu’il avait demandé au comité de planification d’analyser encore mieux ce temps de travail en concertation avec les associations de médecins. Les médecins eux-mêmes ont demandé d’aborder ce thème ensemble. Il existe un certain nombre d’enquêtes sur ce sujet que nous aimerions interpréter afin de mettre en œuvre une meilleure politique. Il faut oser nommer certaines choses».
Le bien-être des soignants
De son côté, Benoît Collin souligne que la productivité n’est pas un gros mot. «La charge de travail non plus. Cette charge de travail est souvent insoutenable pour les généralistes et les spécialistes. Le bien-être des médecins n’est pas qu’une question de revenus. Bien entendu, nous devons encore réduire la charge administrative. À titre d’exemple, le système Multi-eMediatt de numérisation des certificats d’incapacité de travail commencera à fonctionner très prochainement.»
Changement de système?
De nombreux médecins s’inquiètent d’un système où la pratique libérale de la médecine deviendrait de plus en plus une médecine au forfait ou de style National Health Service (NHS), excluant les pratiques solo en médecine générale ou les spécialistes extra-hospitaliers. Pour Benoît Collin, «la plupart des médecins travaillent sous statut d’indépendant. Pourtant, le travail des médecins, même à l’hôpital, évolue vers une pratique de groupe afin de mieux répartir la charge de travail, notamment les gardes ou la gestion des urgences ou des congés. Ici, personne ne prône la médecine d’État, mais il ne faut pas non plus perdre de vue le mode de financement du système: environ 80% proviennent de l’État (assurance soins de santé, cotisations sociales, interventions ou subsides fédéraux ou fédérés) et 20% du patient. Les médecins doivent en tenir compte. Enfin, les tarifs, les suppléments et la facturation doivent également être plus transparents».
De son côté, Pedro Facon souligne qu’il ne faut pas «cataloguer les médecins ayant unepratique solo comme étant moins intéressés à travailler ensemble. Les jeunes souhaitent travailler davantage en cabinet de groupe pour toutes sortes de raisons (conciliation travail-famille, secrétariat commun, échange d’expertise,…). Par ailleurs, les médecins en solo peuvent eux aussi se coordonner avec d’autres dispensateurs de soins. La tendance globale va vers plus de pratique de groupe».
La commercialisation des données
Lors de cette interview, ils sont revenus sur l’épineuse question de la commercialisation des données de santé. Pour Benoît Collin, «les données sensibles doivent donc être anonymisées. Tout doit être conforme au Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD). En ce qui concerne la vente de telles données, c’est autre chose. Nous savons que les hôpitaux vendent leurs données à Intercontinental Medical Statistics (IMS) ou à d’autres parties, mais nous n’y sommes pas favorables. Surveiller tout cela n’est pas le travail de l’Inami. D’autres autorités peuvent vérifier cela. Nous soutenons une data democratie et donc l’accès public aux données sécurisées conformément au RGPD. Dans ce cas, cet accès sécurisé devrait être gratuit ou prix-coûtant, et non commercial».
Enfin, ils ont abordé la question de l’intelligence artificielle dans les hôpitaux. Pour Pedro Facon, la réponse est claire: «Nous aurons toujours besoin des professionnels de santé. L’intelligence artificielle ne pourra pas les remplacer. Cela reste un outil qui ne peut pas remplacer l’humain.»
Ce numéro a été réalisé grâce au support de MSD. Son contenu reflète l’opinion des auteurs mais pas nécessairement celle de MSD.